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2014 : Les potiers de Kolkata

mardi 25 février 2014, par Sylvie Terrier

L’histoire commence avec un thé servi dans un petit pot de terre.

Le thé est bon. Le pot minuscule. Quelques gorgées et déjà la saveur s’évapore.
Envie d’un autre thé. Je tends mon pot encore humide au marchand qui s’en saisit et le jette sur le sol. Le pot se brise dans un bruit creux. D’une grossière caisse en bois, il sort un nouveau pot, le frappe sur le comptoir pour le débarrasser d’une hypothétique poussière, le remplit et me l’offre tout sourire.

Le pot est si beau que je le garde. J’aime sa circonférence parfaite, son pied légèrement ébréché, sur mes lèvres est restée un frais gout de terre.

Je garde le pot et me souviens. Calcutta 1989 dans le train déjà les marchands ambulants à quelques kilomètres de l’arrivée en gare d’Howrah servaient le chai dans ces petits pots de terre cuite que l’on jetait par la fenêtre.

Aujourd’hui malgré l’arrivée du plastique les petits pots de terre perdurent à Calcutta. Pas vu ailleurs en Inde. C’est presque un miracle, un mystère pour moi.

J’ai envie lors de ce nouveau voyage à Calcutta d’en savoir plus.

L’aventure commence ce matin chez notre marchand de chai favori, un grand père au maillot troué et au ventre proéminent. Mais il ne parle pas anglais et ne pourra pas m’aider. Pour l’heure, assise sur un banc de bois poli par l’usure, je jouis de la beauté de ses gestes en savourant mon premier chai, un chai d’hiver parfumé au gingembre, celui que je préfère.

Comment commencer l’enquête ? A qui poser la question des potiers ? Pour un Calcuttan, boire un chai dans un pot de terre est la chose la plus anodine qui soit.
Hasard du voyage. La réponse m’est donnée ce matin.

Elle s’est assise sur un banc en face de moi, de l’autre côté du trottoir, un peu en décalé. Une jeune femme bien en chair, sari jaune bon marché, chignon, lunettes ; la tenue classique d’une d’employée de bureau. Ses mouvements sont assurés, elle discute avec deux autres connaissances, on voit tout de suite qu’elle a sa place dans la société. Et elle parle anglais. Je saisis l’occasion :

- Les potiers, les ateliers de fabrication, vous connaissez ?

Oui, elle connait et après avoir posé quelques questions à droite à gauche, elle prononce un nom : ULTADANGA. Je répète le mot plusieurs fois et lui tends mon carnet afin qu’elle le note. D’une main assurée elle écrit le nom en anglais puis en bengali. Ultadanga station, c’est à cet arrêt qu’il faut descendre. Et ensuite demander. En bengali, potier se dit « Kumar » et argile « Bahr ».

Elle me donne aussi les numéros des bus qui desservent ce quartier. Le 237, le 46, le 46B. L’arrêt est tout près d’ici. Chance ! Je la remercie, je remercie aussi le hasard qui l’a mise sur mon chemin ce matin et suis tellement comblée que j’oublie de lui demander son métier, employée dans les transports municipaux ?

Il ne faut pas plus de quarante minutes de bus pour effectuer les huit kilomètres qui mènent à ULTADANGA. A cette heure de la matinée, il n’est pas encore 9 heures, la circulation est fluide. Je reconnais une partie du chemin car pendant quelques kilomètres le bus prend la direction de l’aéroport puis c’est la banlieue avec ses tours et ses artères. Au passage des ponts, la rivière partiellement asséchée se réduit à un cloaque repoussant et nauséabond.

Le quartier d’ULTADANGA est plutôt paisible, je demande notre chemin aux passants et me fie à leurs indications. Tous connaissent ULTADANGA. Passant devant le terminus des trams, de vieilles machines rouillés et cabossées d’un autre temps, nous nous promettons de rentrer en tram ce soir, quitte à partir au hasard car il n’y a ni cartes ni de plans pour nous renseigner. Il suffira une fois encore de demander…

Au bout de la rue, une artère à double voie très encombrée nous empêche de traverser.

- Il faut emprunter le pont de chemin de fer, me dit un passant en le montrant du bras.

Nous prenons le couloir d’accès aux trains. Tel un fétu de paille, je suis happée par cette foule pressée, presque nerveuse. Ensuite, une fois sur les quais, il faut bifurquer sur la droite, descendre un large escalier.

Le quartier a changé de visage. Ici ce sont des maisons sommaires recouvertes de bâches en plastiques, des petits commerces. Les enfants jouent et crient dans la rue, les maisons sont surpeuplées. Rires, hello souriants. La pauvreté s’affiche, humble et sans masque.

Nous arrivons ainsi jusqu’à un pont bleu vif qui enjambe une rivière nauséabonde. Des saris multicolores sont suspendus aux balustrades, des enfants jouent avec des bouteilles en plastiques sur un tas de sable. La scène est belle en couleurs, partout des ordures abandonnées.


De l’autre côté du pont commence le quartier des potiers.

Nous avons bien fait de venir le matin car le rythme de travail des potiers est un cycle, organisé autour de taches répétitives. Préparation de l’argile, fabrication des pots, séchage, montage du four. La cuisson doit être lente, à l’étouffée. Vers 13heures c’est la pause repas suivi d’une longue sieste à même le sol de l’atelier. Vers 15 heures les cheminées s’activent, le quartier se fige sous la fumée. La cuisson va durer toute la nuit.

1- Les potiers
2- La préparation de l’argile
3- La fabrication des pots
4- Le séchage
5- Le montage du four
6- La cuisson

1- Les potiers

C’est un métier qui se transmet de génération en génération. Une caste, réunie dans un quartier. Le plus souvent il s’agit d’un couple, l’homme et son épouse. Chacun a ses tâches bien définies. L’homme tourne, foule la terre (travail de force) et garnit le feu. La femme aligne les pots, prépare les planches pour le séchage, organise le four.

C’est aussi elle qui cuisine. L’aire de travail des potiers est aussi une aire domestique, composée du minium vital : trois briques pour le foyer, quelques éléments de vaisselle dont un wok et une poêle à chappattis, une petite bouteille d’huile. Les ingrédients du repas sont achetés au jour le jour au marché.

Cette même aire de travail et de vie servira de chambre au moment de la pause. Une natte sera déroulée sur le sol. Les artisans s’envelopperont de la tête aux pieds dans un tissu de coton ou dans une couverture. Pas d’intimité, les enfants sont absents.

2- La préparation de l’argile

L’agile vient des alluvions transportés par le Gange, une région appelée Sundarbans à quelques 180 km au sud de Calcutta. D’innombrables bras et canaux descendent vers le golfe du Bengale.

La région porte le joli nom de « mouths of Ganges », les bouches du Gange. La terre est grise et grasse, on la reconnait déjà à Calcutta sur les rives du Gange rebaptisé Hoogly. La terre, enveloppée de bâches en plastique est livrée devant l’atelier. Foulée aux pieds, elle est ensuite coupée à l’aide d’un fil métallique pour l’alléger.

2- La fabrication des pots
Elle se fait grâce à un tour électrique. Une boule de terre est posée sur un plateau circulaire qui tourne très régulièrement. Le geste du potier est extrêmement précis et rapide.

En quelques secondes le pot est modelé puis coupé de la base avec un fil de métal posé sur son poignet gauche. Les pots sont alignés en longues files régulières sur une planche en bois. Les mains du potier sont régulièrement mouillées pour faciliter le façonnage. Ces ateliers produisent exclusivement des pots à thé.

4-Le séchage.
Il se fait à l’air libre et ne dépasse pas quelques heures. L’argile est fine, elle risquerait de se fendiller. L’épouse aligne soigneusement les pots terminés sur des planches en bois qui seront stockés à l’avant de l’atelier ou bien encore au dessus du four par encore allumé.

5- Le montage du four
Le four se trouve à l’arrière de l’atelier. C’est une pièce de terre battue de plusieurs mètres carrés, aux murs noircis par la fumée. Sur le sol, un guide en brique permet aux potiers de monter la première série de pots à cuire. Les pots sont couchés sur le côté et encastrés les uns dans les autres, ils forment ainsi des cercles de plus en plus resserrés.

Entre chaque circonvolution l’épouse jette du charbon de bois. Les pots cassés sont rassemblés sur le coté. L’ensemble forme comme un igloo qui va se rétrécissant.

Une fois l’ensemble terminé le potier recouvre le tout de papier journal puis d’un enduit d’argile. Cette couche hermétique va ainsi favoriser une cuisson douce, à l’étouffée. En effet les pots sont si fins qu’un feu trop violent les briserait ou pire les feraient exploser.

Le foyer se trouve sous les poteries. Une trappe de bois permet l’approvisionnement. Quant aux buches, elles sont stockées au dessus des claies de séchage.

Quand la cuisson commence, le potier ouvre vers l’extérieur la trappe de la cheminée. A l’intérieur de l’atelier une bâche épaisse ferme l’accès au four. Le potier et sa femme peuvent alors penser à leur repas de midi et à se reposer.

16 heures. Toutes les cheminées des potiers fument ensemble.

A l’arrière des ateliers, dans les ruelles étroites, les charrettes attendent. Le quartier disparait sous la fumée, il est temps pour nous de nous en aller.

Mais la curiosité anime les voyageurs que nous sommes. Alors malgré la désapprobation des habitants qui avec de grands gestes nous indiquent que nous ne prenons pas le bon chemin, nous gravissons quelques marches pour atteindre la voie ferrée. Nous arrivons directement sur la voie et c’est sans doute à cause du danger potentiel des trains qui en passant en nous frôlant que les habitants nous hélaient.

Sur les pierres concassées des traverses, des statues argentées moulées à l’identique sèchent. Des jeunes hommes peignent sur leurs visages figés de grands yeux cernés de noir. Un train nous dépasse, vent tiède qui ébouriffe nos cheveux, train bondé, débordant de bras et de jambes.

Sur le pont qui franchit la rivière un groupe d’enfant nous guète, sourires et rires. JM les prend en photo, ils sont heureux. Nous comprenons alors qu’ils veulent nous montrer quelque chose. Deux d’entre eux âgés d’une dizaine d’années, passent par dessus la balustrade. Un rire complice parcourt leur corps maigre. Ils lancent leurs tongues dans la rivière, rentrent leur ventre puis prenant un grand bol d’air sautent du pont sans aucune hésitation. Jeu familier, passe temps d’enfants qui n’ont peut être jamais mis les pieds à l’école.

Du pont, nous avons une vue panoramique sur ce quartier de bidonvilles. En contrebas, de l’eau coule d’une citerne rouillée, une jeune femme remplit son seau puis lave son enfant au milieu d’une mer d’ordures. Je prends à mon tour une photo, elle est d’une rudesse à couper le souffle.

Le soleil chute à l’horizon. Il manquera dans ce reportage sur le quartier des potiers l’activité de fin de soirée et celle du début de matinée, le démontage du four, la sortie des pots encore tièdes, le tri des pots cassés, l’arrivée des charrettes ou des petits camions pour le transport vers la ville, la livraison aux innombrables échoppes de la ville.

Calcutta boit du thé le jour et respire la nuit.