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2018 : De Ronceveaux à Compostelle, l’accomplissement (1)

dimanche 8 juillet 2018, par Sylvie Terrier

Une fois encore se repose la question de comment écrire ce chemin. Pour la première fois depuis ces quatre années que je marche, je dispose d’un temps qui me semble presque infini, six semaines. De quoi parcourir la totalité du parcours d’une seule traite et même bénéficier de quelques jours supplémentaires pour un retour lent et progressif vers « l’autre vie ».

Je n’ai pas envie de me lancer dans une description linéaire étape par étape, trop ennuyeuse pour le lecteur et le rédacteur de ce texte. Pas moins de 33 étapes, de quoi prendre le risque de déserter le texte en chemin.

Écrire après chaque étape me semble toutefois nécessaire. Je cherche l’ Idée sans rien trouver et une fois passé Pampelune, je me rends compte que j’écris de moins en moins, que si je continue ainsi, je vais tout oublier, pire ne plus rien écrire du tout. Un soir l’idée vient : écrire à un être imaginaire qui lui serait statique, qui ignorerait tout de l’expérience de la marche, qui serait dans un pays lointain, l’Afrique et avec qui je communiquerais brièvement, chaque soir à travers de simples SMS.

L’idée étant trouvée, voici le texte.

25 mars
Première étape et presque 28 km à travers les bois. Partis du col de Roncevaux sous la neige et les feuilles rousses, nous trouvons la pluie et la boue à l’arrivée. Troublant cet homme rencontré dans la descente, nu pied, maigre, son regard transparent. Je m’adresse à lui, je pointe ses pieds, m’inquiète pour lui, il me regarde sans rien dire puis d’un coup lâche : Love.
Nous, nous étions bien contents de trouver une auberge. A Zubiri tout était complet, nous avons donc cheminé encore 5 km avant de nous retrouver autour d’un bon feu et d’un dîner, pris tous ensemble, toutes nationalités rassemblées. Une nuit de repos et puis au matin, miracle toute la fatigue a été absorbée. Je pense fort à vous.

C’est déjà une belle étape pour démarrer surtout avec une mauvaise météo. Merci pour votre message, reposez-vous bien et bon courage pour demain. Je suis là et j’apprécie que vous pensiez à moi de si loin.

26 mars
Deuxième étape jusqu’à Pampelune. Étape facile, seulement 18 km. Ce qui permet de découvrir la ville, se plonger dans l’histoire des rois de Navarre, boire des cafés "con leche" et déguster d’incroyables tapas accompagnés de vin blanc. Oh le dortoir ! Jamais vu autant de lits superposés, plus d’une centaine à l’auberge Jesus et Maria. Il faisait encore froid durant cette étape, déjeuner débout sous un porche et vêtements glacés mais marcher c’est faire feu de tout bois. Racontez moi ce que vous faites, envoyez moi un peu de chaleur africaine. Je pense fort à vous.

Ici c’est toujours la chaleur qui domine et qui s’accroît peu à peu. Ceci demande de pouvoir disposer d’eau. Or ce week-end mon surpresseur a lâché. Je l’ai donc changé puisque la maison est alimentée par un puits. Mais c’était sans compter les problèmes de canalisation. J’ai donc passé mon week-end à rechercher les fuites d’eau sur les canalisations.
Vous voyez, rien de bien excitant mais tellement nécessaire pour retrouver un confort correct. C’est cela l’Afrique, du bricolage dans tous les sens, un équilibre précaire. Rien n’est permanent ici, il faut s’adapter...
Je vous souhaite une belle nuit réparatrice et une bonne continuation. Profitez bien de ce temps. Je suis là.

27 mars, Puenta la Reina.
J’aime bien quand vous me racontez votre quotidien. Si différent de ce que je peux vivre ici. Aujourd’hui, étape de 25 km pour arriver à Punta de la Reina, carrefour d’arrivée du chemin d’Arles. Pont en ogive et arc en ciel sous les éoliennes, il pleut à nouveau. Ce soir tapas et verres de vin blanc, plaisir de communiquer avec trois mots d’espagnol (j’ai envie d’apprendre cette langue et je pense que de cette manière cela va aller vite), serrer la main du patron, le remercier pour son accueil. Ensuite dormir. Un peu mal aux pieds ce soir, mais normalement après une nuit de repos, demain tout devrait être réparé.
Savez- vous ce que nous disons en Lorraine terre de mauvais temps ? Et bien qu’il n’y a pas de mauvais temps, seulement de mauvais habits. Je pense fort à vous.

J’aime également vos messages et vous sens heureuse. Effectivement vous avez raison pour le temps, mais le mieux je pense est de pouvoir enlever ces habits. Reposez-vous et ayez soin de vos pieds. La route est longue et je suis toujours là.

29 mars, Estrella
Tout va bien. Nous venons de vivre deux jours de marche magnifique en bleu, vert, blanc (ciel, champs, nuages). Je vous souhaite de connaître cette allégresse qu’offre le chemin. Et j’admire vos capacités de bricoleur, pour que la vie continue en somme... Je pense fort à vous.

L’allégresse se ressent dans vos mails et arrive jusqu’à moi.
Pour ma capacité à bricoler, c’est vraiment par obligation. Je ne suis pas certain de mériter de l’admiration. Mais vous avez raison c’est pour que la vie continue et c’est bien ainsi. Je suis toujours là.

30 mars, Viana
Petite journée de marche aujourd’hui, seulement 19 km. C’est le grand week-end de Pâques et du coup impossible de trouver une auberge à Logronio. Nous nous arrêtons un peu avant, à Viana, petite ville déserte avec ses rues étroites et froides. Quelle différence avec la soirée d’hier où nous paressions en chemise sur une place ensoleillée.
Par conséquent l’étape de demain sera longue, presque 30 km. Mais le chemin est ce que l’on en fait, tout comme notre vie. J’aime bien nos échanges, bien que très courts ils maintiennent un lien affectueux et sont toujours encourageants.

Oui, il semble que le chemin soit comme la vie. Il y a des journées plus difficiles que d’autres. Il faut savoir les enchaîner et les accepter comme elles se présentent. Je vous sens épanouie et heureuse de réaliser ce que vous désirez. Bon courage pour demain, je suis là, même loin.

31 mars
Grande marche jusqu’à Najera aujourd’hui comme prévu. C’était un peu trop. Manière de sentir et reconnaître nos propres limites. Demain devrait être plus doux. Paysage de vignes et d’oliviers sous un ciel tumultueux et venteux. Le soir venu, du bleu, rien que du bleu. Je vous écris d’un café où nous buvons du vin blanc. J’ écoute sans comprendre l’espagnol chantant. Belle vie vraiment !

Effectivement cela fait une belle marche, bravo !
La vie est belle, vous profitez du bleu pour étirer le temps en soirée. Emmagasinez ces belles images et ces moments. Merci pour ce partage, je suis là.

1er avril, Belorado
Agréable marche à travers les vignes de la Riora, temps chaud à l’arrivée et découverte de la réalité de cette région en état de désertion rurale. Le village où nous faisons étape ne vit que du passage des marcheurs vers Compostelle. L’hôtesse du gîte assommée de lassitude reste couchée, j’essaie quelques plaisanteries, elle ne réagit pas. Ne prépare pas de repas. Reste alors le café du hameau (un seul café ouvert, la chance nous sourit), rempli d’enfants et quelques familles. Rien d’autre au menu qu’une assiette de spaghetti et du vin blanc accompagné d’olives vertes. Tout ce que l’on nous apporte nous semble délicieux. Nous nous couchons tôt ce soir, pas grand chose d’autre à faire que se reposer après avoir préparé l’étape du lendemain. Le chemin c’est aussi cela, accueillir ce qui vient.

Le chemin, c’est comme la vie, des belles journées avec de bonnes conditions qui n’ont pas la fin espérée, je vous sais suffisamment imaginative pour égayer cette étape. Bon chemin pour demain, je suis la.

2 avril
Longue marche aujourd’hui sous le soleil à travers les champs de blé vert. Demain nous franchirons un col à 1300 m et serons hébergés chez des moines. Nous rencontrons de moins en moins de marcheurs. Les pieds tiennent le coup.

Les moines vous ferons bon accueil, j’en suis sûr, c’est la tradition !

3 avril, San Juan de Ortega
La journée a été bien éprouvante, vent, pluie, boue et arc en ciel. Paysage divisé en deux et nous, passant sous l’arche, cathédrale céleste. Nous sommes arrivés au monastère, glacés. Les chambres n’étaient pas chauffées, nous nous sommes réchauffés sous une douche brûlante. Et pas l’ombre d’un moine. Avons trouvé du réconfort dans un petit café où se parlaient toutes les langues. Ha pourquoi notre cerveau ne peut il absorber et se brancher à ces langues afin d’ instantanément communiquer ? Je pense fort à vous

Une étape difficile et pas d’accueil par les moines... c’est bien ce que je pensais, Dieu n’existe pas. Regardez, observez, ressentez, parfois la communication non verbale peut vous en apprendre beaucoup plus. Je reste flatté que vous pensiez toujours fort à moi !

Quelle soirée, après le repas pris en commun servi comme à la cantine par de jeunes volontaires, nous nous retrouvons dans le réfectoire, seule pièce chauffée du monastère. Jeux de carte endiablés et vin. Les rires fusent, nous jouons en Espagnol, la langue nous relie, tout semble facile.

Une soirée païenne avec des jeux, du vin, des rires et de la bonne humeur dans un monastère, j’espère que vous l’avez conclue en faisant l’amour... Moi cela m’aurait forcément donné envie. Je vous souhaite une très belle nuit et une bonne journée pour demain. Je suis là.

5 avril
Désolée, pas de Wi fi hier soir chez les moines !
Faire l’amour sur le chemin s’avère difficile. Lits superposés, chambres à 10, 15, 30, la fatigue, le vin qui ravigote puis assomme, le chemin est sans doute la forme de voyage le moins romantique qui soit.

C’était juste le côté monastère qui m’inspirait à ce sujet. Êtes vous mieux installée à cette étape ?

6 avril, Hontanas
Moi aussi je fantasmais avec ce monastère... Alors ce soir dans le dortoir après le dîner, un seul occupant. Un coréen enfermé dans son duvet qui semblait dormir, ses affaires préparées au pied du lit. Alors oui faire l’amour sous les couvertures, vite, dans le noir.

Votre chemin continue et c’est bien. Profitez de cette légèreté pour avancer. Je suis là.